Chaque ville a ses points panoramiques qui permettent d’admirer la vue tout en étant installé confortablement dans un fauteuil face à sa tasse de café ou son verre de vin. Certains d’entre eux sont complétement fondus dans l’architecture globale, comme les cafés du Centre Pompidou, de l’Institut du Monde Arabe ou du Printemps Maison à Paris. D’autres surplombent la ville et deviennent les points de repère architectural plus ou moins réussis, comme la Tour Montparnasse à Paris, Trump Tower à Chicago, la tour télévisée Ostankino à Moscou (qui reste, depuis 1967, la tour la plus haute de l’Europe).
Prochainement Paris va avoir un nouveau point de repère, les tours Hermitage d’une hauteur de 320 m. Ayant assisté à l’une des présentations de ce projet, je n’ai pas pu retenir mon admiration devant la beauté technique de cette œuvre. Les tours seront construites au début de l’Esplanade de la Défense, près des berges de Seine par le groupe Hermitage. Ce dernier a déjà participé dans le concours du quartier de la Défense concernant la Tour Signal (2008).
Le concept de ce projet est de construire un véritable espace de vie à l’entrée du quartier des affaires. Près de deux-tiers des tours Hermitage seront occupés par les appartements avec les services (entre 150 et 220m² chacun, avec 3m de hauteur sous les plafonds). Les services seront possibles grâce à l’hôtel de luxe de 230 chambres/suites situé dans l’une des deux tours. Un centre commercial de luxe, une gallérie d’art, des espaces piétons et seulement 35 000 m² de bureaux : il suffit de regarder la gallérie photo sur le site du groupe Hermitage pour commencer à rêver les yeux ouverts.
De point de vue ingénierie financière et l’ingénierie tout court le projet représente un véritable chef d’œuvre : les matériaux modernes, la domotique, les concepts innovants, comme, par exemple, les baies vitrées améliorant la ventilation ou les « casquettes » sur parties supérieures des fenêtres, incluant les panneaux photovoltaïques, etc.
Lors de la construction, et afin de minimiser l’impact sur le fonctionnement quotidien du quartier de la Défense, sur l’environnement et sur les coûts de construction, un embarcadère provisoire sera construit sur la Seine. Les matériaux de construction, par exemple, seront acheminés par la voie fluviale.
Par ailleurs, des investissements considérables ont été faits afin de reloger les habitants du quartier impactés par les travaux.
L’avancement du projet a été un véritable succès, malgré les résistances politiques, campagnes médiatiques, etc. Le projet en lui-même est très beau. Mais cette analyse n’aurait pas été complète sans quelques questions supplémentaires.
Bien sûr, les participants du projet ont une renommée internationale : Turner International pour la gestion du projet, Bouygues construction pour le gros œuvre, etc. De plus, le groupe Hermitage a déjà mené des projets similaires à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Toutefois, les conditions climatiques de ces villes, tout comme celles de New York ou de Dubaï, ne sont pas les mêmes qu’à Paris. Quelle est la différence entre les matériaux de construction utilisés pour les projets faits dans ces villes ? Est-ce que les matériaux utilisés sont les mêmes un peu partout, quelle que soit la température moyenne, le niveau de l’humidité, de la pollution, la spécificité du vent, etc. ? Comment vont-ils vieillir dans le climat Parisien ? A quoi vont-ils ressembler dans trois, cinq, dix ans ? A quelle fréquence les occupants des tours vont devoir payer tous types d’entretiens et de ravalement ? Tout grand projet suscite des questionnements, dès que nous essayons de nous projeter dans le temps.
Et puis, qui va vivre dans ces magnifiques appartements avec le prix au mètre carré équivalent à celui des plus beaux quartiers de Neuilly-sur-Seine, plus le coût des services fournis par l’hôtel ? Là, encore, il faut rappeler que nous sommes en France, où les tours sont souvent le synonyme du logement à bas coût. Il est tout à fait naturel pour les familles aisées russes ou américaines d’occuper des centaines de mètres carrés dans une tour moderne surplombant une large avenue. Mais nous sommes à Paris. Ici les habitants d’Ilede France qui peuvent se permettre cette gamme des prix, préfèrent les petites rues tranquilles de Neuilly-sur-Seine ou les grandes maisons de Saint-Cloud. Certes, parmi les clients potentiels il peut y avoir des étrangers aisés venant à Paris… Toutefois, ceux pour qui ce niveau des prix va être abordable, viennent à Paris pour acheter « du Paris » : le VIème arrondissement, l’Ile Saint-Louis…
Il semble être très probable que les concepteurs de ce beau projet ont quelques lacunes dans leur étude du marché et l’analyse de leur clientèle cible. Ces lacunes ajoutent des risques au fait que ce projet soit une réussite financière. Toutefois, il y a un point rassurant pour les français dans cette histoire. Il semblerait que les banques françaises ne savent pas financer les projets mixtes d’une telle envergure, ainsi le financement des Tours Hermitage provient des banques russes. Ce qui signifie que dans le cas où ce projet ne rencontre pas le succès espéré, ce n’est pas l’Etat français qui va régler l’affaire en renflouant les caisses des banques avec les impôts des français, mais l’Etat russe. Cela aurait pu être sans importance, sauf qu’une grande partie de la population russe manque de logement décent de base…
Source photo : Gallérie photo de Hermitage-lifestyle