Voir l’intégralité de l’éléphant et comprendre autrui

Connaissez-vous la parabole indienne qui parle de trois hommes aveugles et d’un éléphant ? Ces trois aveugles ont demandé un sage de les partager, car ils n’arrivaient pas à s’entendre sur le fait à quoi rassemble un éléphant. Le sage les demanda de lui montrer comment ils ont exploré l’éléphant et ses formes. L’un des trois hommes s’arrêta près de la trompe de l’animal et décrivit l’éléphant en termes de ce qu’il a pu palper. L’autre s’arrêta près des oreilles de l’éléphant et décrivit l’animal de son point de vu. Le troisième s’arrêta près du ventre de l’éléphant…

Il est facile de comprendre que chacun des hommes a fait une « connaissance ponctuelle » avec l’éléphant. Dans leurs descriptions chacun avait raison et tort en même temps. Aucun ne put avoir une vision globale de l’animal, et aucun n’accepta le point de vu des autres.

Le fait est que nous voyons le monde à travers notre propre vécu et notre propre perspective. Nous essayons désespérément de réduire toute information en petits morceaux que nous pouvons comprendre dans notre propre système.

Cela entraine des myriades de conséquences inattendues, dont l’une est notre communication au quotidien.

Par exemple, à quel point comprenez-vous ce que les personnes de votre entourage essayent d’exprimer ou de dissimuler ? Ce qu’elles pensent, croient, sentent et veulent ? Et surtout, ce qu’elles pensent de vous ?

Considérons une série d’expériences (décrites par Nicolas EPELEY dans son livre « Mindwise » ), où les personnes travaillant en groupes devaient prédire comment les autres membres de ce même groupe vont évaluer les traits de leur personnalité. Parmi ces traits il y avait l’intelligence, le sens de l’humour, la bienveillance ou les qualités de leader.

Une bonne nouvelle: si vous êtes le membre d’un groupe, la correspondance entre ce que vous imaginez que le groupe pense de vous, et la moyenne des opinions réelles du groupe est assez forte (55%). Par contre, lorsqu’il s’agit de prédire comment une personne particulière du groupe vous voit, la corrélation chute jusqu’à 13%, ce qui est très proche de l’absence de toute corrélation et de la main du hasard, tout simplement…

Ok, un groupe de personnes cela peut être compliqué. Et si l’on essayait quelque chose de plus simple et concret ? Par exemple, à quel point un(e) représentant(e) du sexe opposé va vous trouver attractif (ve), si l’on lui montre une photo de vous? D’après les expériences menées par Tal Eyal de l’Université de Ben-Gurion, les prédictions dans ce type d’expériences avaient l’exactitude du hasard. La corrélation entre les évaluations attendues et celles données réellement était égale à 0. Ce n’est pas que les participants croyaient être bien plus attractifs que les évaluations qu’ils ont obtenu. Le fait est que leurs estimations n’avaient absolument rien à voir avec les évaluations réelles.

Nous communiquons beaucoup de manière implicite, à travers les expressions de nos visages, les mouvements de nos corps. Tout au long de l’histoire de l’humanité nous avons appris à dévoiler nos pensées ou nos sentiments à travers notre gesticulation, ou à les cacher de la même manière…

Dans quelle mesure comprenons-nous ce langage implicite ? Etes-vous capable de détecter quand une personne est sincère avec vous? Prenons le cas où vous faites votre shopping avec cette personne et elle vous pose une question du type « est-ce que j’ai l’air gros avec ce pantalon ? » … Bah, c’est exactement le type de la situation où ce que vous répondez à votre interlocuteur ne reflète pas toujours ce que vous pensez…

Les expériences démontrent que notre capacité de distinguer les réponses sincères des mensonges est d’environ 54%. Si vous jetez au hasard une pièce « pile » ou « face », vous aurez raison dans 50% des cas en moyenne. Alors, vous voyez bien qu’essayer de comprendre d’autres personnes est une tâche ingrate, car nous ne sommes même pas capables de distinguer si elles sont sincères ou si elles mentent.

Mais peut-être tous ces problèmes de communication apparaissent uniquement lorsque nous communiquons avec ceux que nous connaissons peu. Est-il possible que toutes ces erreurs de compréhension n’arrivent que rarement avec nos amis proches ou nos conjoints ? Car les personnes mariées depuis de longues années affirment que parfois elles peuvent terminer la phrase commencée par leur conjoint, que leur fusion et connaissance de l’autre est telle qu’ils n’ont pas besoin de mots pour se comprendre.

Imaginez que vous et votre conjoint participiez dans une expérience où vous êtes placés dans les pièces différentes. On vous demande de répondre à 20 questions où vous devez évaluer dans quelle mesure vous êtes d’accord avec une variété d’attitudes et d’opinions. Parmi les 20 questions il y a les affirmations de type: « J’aurais préféré passer une soirée tranquille à la maison que d’aller faire la fête », « Si j’avais à revivre ma vie, j’aurais fait beaucoup de choses différemment », « Notre famille est fortement endettée ». Pour chacune vous deviez indiquer votre degré d’accord sur une échelle de 1 à 7 commençants par un, « absolument pas d’accord », et allant jusqu’au sept, « fortement d’accord ».

Dans la pièce voisine votre conjoint reçoit le même questionnaire avec la demande de prédire vos réponses. De plus, il / elle doit estimer le nombre de fois où ses propres hypothèses à propos de vos réponses sont exactes.

Normalement, tout cela doit être facile. Les couples ayant participé dans l’expérience étaient ensemble depuis 10,3 ans en moyenne et 55% d’entre eux étaient mariés.

Alors, quels étaient les résultats ?

Si les conjoints avaient répondu aux questions tout à fait au hasard, ils auraient eu raison pour 2,85 réponses sur 20, ou dans 14,25% des cas.

Bonne nouvelle : les couples étaient capables de prédire les réponses de leurs conjoints pour 4,9 questions sur 20, ou dans 24,5% des cas. C’est bien mieux que le hasard.

Une nouvelle qui fait peur : l’écart entre le hasard et les réponses réelles des personnes ayant participée dans cette expérience était insignifiant par rapport à l’exactitude que les répondants pensaient avoir. D’après leurs estimations ils étaient persuadés d’avoir raison pour 12,6 questions sur 20, soit dans 63% des cas…

Cette illusion commune que nous connaissons d’autres personnes beaucoup mieux que ce que démontrent les expériences a des conséquences dangereuses. Il suffit de regarder les sujets qui occupent les médias et les cabinets d’avocats. Beaucoup d’humilité à propos des capacités de notre sixième sens et une meilleure connaissance du fonctionnement de notre cerveau peuvent aider à être plus proches de la réalité des autres. Cela permet également de prendre du recul et de voir un éléphant en entier.

Source d’images : Wikimedia 1 + 2 + 3 + 4

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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