Substitution des importations

Il y a quelques jours Benaouda Abdeddaïm, l’éditorialiste économique de BFM Business, a avoué avoir entendu les fonctionnaires européens à Bruxelles qui s’étonnaient à propos de la survie de la population russe face aux sanctions interdisant l’importation du porc, de la volaille et d’autres produits alimentaires européens. La réponse à cet étonnement est simple. Elle consiste en un seul mot russe « importozameshenie » (substitution des imports).

D’une part, tout pays qui s’est retrouvé sous l’embargo de l’Union Européenne peut exporter des produits d’autres parties du monde. Par exemple, les agrumes en provenance du sud de l’Europe peuvent être remplacés par ceux venus de l’Afrique du Nord (Maroc, Egypte …). Divers variétés de viande, de poisson et de produits laitiers peuvent venir de l’Amérique Latine, et ainsi de suite. Par ailleurs il y a des pays – anciens membres de l’Union Soviétique qui produisent divers produits alimentaires. Tadjikistan qui exporte actuellement vers la Russie environ 200 000 tonnes de fruits et de légumes frais, s’est déclaré capable d’en fournir 800 000 tonnes. La même tendance a lieu pour d’autres pays de l’Asie Centrale et les pays du Caucase.

Il est également assez facile de mettre en place la substitution naturelle des imports par les produits agricoles russes :

  • Il faut environs trois semaines pour qu’un œuf devienne un poussin et à peine quelque mois pour que ce dernier se transforme en une poule ;
  • La truie a besoin de seulement 115 jours pour « produire » un porcelet.
  • Les terres agricoles abandonnées au cours des dernières années peuvent être réutilisées à nouveau à partir du printemps prochain pour y planter des céréales et des légumes.

Par ailleurs, malgré la réduction de la production agricole au cours de dernières années, la Russie continuait d’en fournir pour le marché intérieur du pays. Toutefois, de point de vu présentation, cette production n’est pas aussi attrayante que les produits exportés de l’Europe, et elle se conserve moins longtemps. Ceci est essentiellement dû au fait que les produits russes subissent beaucoup moins de traitements et de transformation et donc, se conservent moins bien. Toutefois, d’après Sergey Lisovsky, le Premier Adjoint du Président du Comité de la Politique Agricole et Alimentaire et des Ressources Naturelles du Conseil de la Fédération, la consommation des produits qui ont subis moins de traitements mènera à l’amélioration de la santé de la population russe.

Une énorme communication est menée depuis début août afin de relancer entrepreneuriat agricole russe et pour promouvoir les initiatives locales. L’un des exemples de la réussite est la région de Tioumen, où, Il y a quelques années, les agriculteurs ont importé des États-Unis des vaches laitières avec de beaux pédigrées. Elles se sont bien adaptées aux conditions locales et actuellement la ferme couvre une bonne partie des besoins régionaux en produits laitiers et viande / charcuterie, et commence à les exporter vers les régions voisines. Une communication ciblée et le patriotisme régional font que face aux produits comparables les consommateurs achètent du « Fabriqué dans la région de Tioumen ».

De plus, quelques 13 milliards de dollars viennent d’être dédiés par le gouvernement russe à la relance du secteur agricole. D’après les responsables des Services Économiques et Financiers d’Interfax, c’est LE domaine où il faut être maintenant (néanmoins, je doute que qui que ce soit dans le secteur agricole français ait de l’imagination entrepreneuriale allant jusqu’à la matérialisation des opportunités qui se sont ouvertes).

Quelles sont les conséquences de l’embargo pour la population ? – Peu significatives pour les habitants des petites villes et des campagnes, qui depuis toujours consommaient essentiellement les produits locaux. L’impact le plus significatif sera ressenti dans les grandes villes, où les habitants avaient le panier moyen assez sophistiqué, composé notamment de produits importés. Par exemple, une augmentation des prix sur certains produits alimentaires de 10% à 30% est observée à St Pétersbourg. L’impact sur les prix est moindre à Moscou, qui se trouve sous les projecteurs du gouvernement. Par ailleurs, le cabinet du Premier Ministre Medvedev a pris sous son contrôle la surveillance des prix sur les produits de la première nécessité, afin d’éviter la montée injustifié de ces derniers.

Et les agriculteurs européens dans tout cela ? La plus grande anecdote d’août était l’histoire des pommes polonaises. En effet, la Pologne devait fournir à la Russie 750 000 tonnes de pommes, qui se sont retrouvées sous l’embargo. Pour pallier à ce problème la Pologne s’est tout de suite tournée vers les Etats-Unis en leur demandant d’acheter les pommes qui ne pouvaient plus être vendues en Russie. Les États-Unis, qui se trouvent parmi les plus grands exportateurs des produits agricoles, ont décliné cette demande. Alors la Pologne s’est tournée vers l’Allemagne, qui a également proposé aux polonais de trouver d’autres solutions. Finalement ces 750 000 tonnes de pommes polonaises se sont retrouvées un peu partout en Europe, ce qui a fait baisser le prix moyen des pommes de la saison. A la place des producteurs de pommes j’aurais transformé ces pommes en cidre, ou, encore mieux, en calvados : il est plus que certain que la Russie n’imposera jamais un embargo sur les alcools venus d’Europe.

Dès les premiers jours de l’annonce de l’embargo russe sur les produits agricoles européens, Dacian Ciolos, le Commissaire Européen à l’Agriculture et Développement Rural, a annoncé que les agriculteurs européens n’en seront pas impactés, car ils sont en mesure de se réorienter vers des nouveaux marchés.

Toutefois, quelques jours plus tard il a fait une annonce concernant une aide de 125 M€ au producteurs des fruits et légumes périssables qui sera déboursée entre le 18 août et fin Novembre.

Puis il a parlé des aides supplémentaires pour les producteurs du beurre, du lait en poudre et de certains fromages. Ce programme « Private Storage Aid » doit permettre de couvrir les dépenses de stockage de ces produits pendant 3-7 mois (nous pouvons présumer que la Commission Européenne considère qu’au-delà de cette date l’embargo sera terminé).

De plus, à partir de 2015 les 30 M€ supplémentaires vont être consacrés rien qu’à la promotion dans les cadre du PAC des produits agricoles de l’Union pour répondre à moyen terme à l’embargo russe.

Dans toute cette cascade des aides supplémentaires au secteur agricole européen (soutenu avec nos impôts) nous pouvons discerner une bonne nouvelle: la Commission Européenne a compris que le secteur agricole exige un suivi de données en temps réel. Toutefois, pendant que la Russie se penche sur la problématique globale et stratégique de son indépendance agro-alimentaire, qui représente une importante partie de la gestion des risques liés à la sécurité d’un pays, l’Europe ne fait rien dans ce domaine. Or, la question simple et directe à se poser dans cette situation est : si demain il arrive quoi que ce soit à l’approvisionnement alimentaire venu de l’extérieur de l’Europe (une catastrophe sanitaire, une éruption volcanique), est-ce que l’Europe sera capable de subvenir à ses besoins alimentaires ? Rien n’est moins sûr.

Par ailleurs, et malgré les annonces officielles, les conséquences de l’embargo russe sur les produits alimentaires européens ne se sont pas arrêtées à l’entrée de la Communauté Européenne, ni même (comme l’a fait le nuage de Tchernobyl) à la frontière est de la France.

Dès début août les fonctionnaires européens ont estimé les exports des produits actuellement interdit de l’UE vers la Russie à 4,5 milliards d’euros (sur la totalité des 11,8 Mrds €). Plus précisément :

  • Pour la Finlande l’export des produits interdits représente environ 25% de tous les exports du pays. Cela pourrait se traduire par une perte de 0,2% de PIB en 2014.
  • Pour l’Allemagne, qui a importé en Russie pour 1,83 Mrds € de produits agro-alimentaires, ces sanctions peuvent représenter jusqu’à 0,2% de PIB en 2014.
  • Pour la Pologne les produits sous embargo représentent presque 0,5% de PIB.
  • Pour la France le volume global des produits agro-alimentaires vers la Russie représentait environ 1,2 Mrds €. Les dommages engendraient par l’embargo peuvent aller jusque à 0,2% du PIB.

A part ces impacts directs, il y a également des impacts indirects, comme la diminution du nombre de touristes russes en Europe. D’après les statistiques russes du début août, 60% des touristes russes ont voyagé à l’intérieur du pays, contre 50% à la même période de l’année précédente. Cela est dû à la dévaluation du rouble et à la peur des touristes d’être agressés ou mal traités suite aux sanctions. Les aéroports privés de la Côte d’Azur déclarent une baisse d’activité de 5-7% engendrée par les sanctions.

Tous ceux qui ont une idée quelconque du développement international d’un business peuvent comprendre les difficultés potentielles liées à la perte d’un marché. Les entreprises qui ont déjà des capacités de production en Russie (Bonduelle, Danone, etc.) ne souffriront pas énormément des différentes sanctions. Par contre, les entreprises qui ne produisaient pas sur place et qui se sont retrouvées sous les sanctions ne pourront probablement plus jamais y revenir : pendant la durées des sanctions leurs produits seront remplacés par ceux venus d’autres pays. Ainsi, leurs coûts des efforts nécessaires pour ré-rentrer sur le marché russe seront trop élevés. Une conclusion peu joueuse pour une Europe engouffrée dans une longue récession économique.

Source des images : Wikimedia

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

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