Sanctions à l’égard de la Russie : en quoi consistent-elles ?

]Il nous arrive (plus souvent que nous ne voudrions l’admettre) de se retrouver à des conférences où, soit le contenu ne correspond pas tellement au titre de cette dernière, soit le niveau des interventions laisse à désirer par rapport à nos attentes. Rappelez-vous cette horrible sensation de perte de votre temps qui vous ronge à tel point que vous n’avez qu’une seule envie: vous échapper dès que possible. A une conférence récente j’ai eu le droit à tout cela. Sauf qu’au moment où j’étais prête à partir, le dernier intervenant, qui s’avérait être une avocate, a pris la parole. Malgré certains stéréotypes que nous avons par rapport à cette profession, cette intervention est allée, comme le disent les anglo-saxons, « straight to the point » du sujet de la conférence (« Situation économique en Russie et impact des sanctions »), tout en utilisant un langage assez compréhensible pour un simple mortel.

Cadre juridique

Nos publications sur sujet des sanctions internationales à l’égard de la Russie et les sanctions russes à l’égard des entreprises internationales (L’actualité vue de Moscou – 1 et 2, Substitution des importations) concernaient surtout les impacts des sanctions sur le quotidien des personnes et des entreprises. Jusqu’à présent nous avons laissé de côté le cadre règlementaire de ces mesures, or il est assez contraignant et mérite d’être connu.

En ce qui concerne la France, c’est l’Union Européenne qui a exercé sa compétence pour mettre en place des mesures restrictives en réaction aux actions de la Russie déstabilisant la situation ukrainienne. La France n’a eu qu’à se soumettre à ce dispositif tel quel, sans avoir à le transposer, tout comme les autres États membres.

Ce dispositif est constitué d’une série d’actes européens qui ont été adoptés depuis le mois de mars 2014 (Décision PESC, Règlements d’exécution et Règlements du Conseil), qui sont toujours en vigueur et qui contiennent des mesures individuelles à l’encontre de certaines personnes et des sociétés nommément désignées, ainsi que des mesures concernant des industries russes toutes entières.

Il s’agit, essentiellement, de :

  1. La suspension des discussions sur les visas et des négociations en vue d’un nouvel accord global UE-Russie ;
  2. Des mesures ciblées à l’égard de certaines personnes physiques (interdictions de pénétrer sur le territoire de l’UE et gels des avoirs) ou morales (interdiction de commercer avec) ;
  3. Des mesures d’ordre économique.

Extraterritorialité des sanctions

De point de vue juridique il est admis qu’il relève de la compétence globale d’un État de définir des procédures (civiles, pénales ou administratives) concernant des agissements individuels localisés sur leur territoire ou des agissements localisés à l’étranger et produisant des effets substantiels sur leur propre territoire. C’est sur un fondement de cet ordre que les autorités américaines ont pu sanctionner pénalement le banquier français ayant introduit, pour le compte de personnes étrangères sous embargo américain, des payements en dollars dans le système financier américain.

Plus concrètement, des procédures civiles, pénales ou administratives faisant suite au non-respect des mesures restrictives précitées ont un caractère extraterritorial et vont s’appliquer à :

  1. Toute personne physique ou morale (une succursale) se trouvant sur le territoire français, quelle que soit sa nationalité.
  2. Toute personne physique de nationalité française se trouvant en dehors du territoire national.

Comme toujours, lorsque qu’il s’agit de textes juridiques, la partie la plus importante se trouve dans le détail et dans les exceptions :

  • Un employé non dirigeant de nationalité française qui travaille à l’étranger, n’est pas responsable de la politique économique, financière et commerciale conduite par la société qui l’emploie.
  • Cette même personne physique redevient responsable de ses actes dès lors qu’elle n’agit pas dans le cadre de l’entité qui l’emploie.
  • Un employé dirigeant est considérée comme responsable de la politique économique, financière et commerciale conduite par une personne morale (ou un organisme ou une entité) dès lors que c’est sous sa conduite que cette politique est menée. Cela signifie, par exemple, qu’un Français, Directeur Commercial d’une entreprise chinoise, basé un Chine, qui contourne les sanctions de l’UE contre la Russie dans ses activités, est juridiquement responsable en France et peut être poursuivi devant les tribunaux français.

 

  • Par et à bord de tout navire et aéronef immatriculé dans l’UE, ou un navire et aéronef étranger se trouvant dans l’espace aérien de l’UE.
  1. Toute entité de droit français établie à l’étranger.
  2. Toute entité de droit non européen établie dans un pays non européen lorsque la transaction qu’elle réalise en tout ou en partie avec l’UE enfreint les dispositions du Règlement (UE).

Par ailleurs, les établissements bancaires sont solidairement responsables des opérations auxquelles ils ont contribué, quels que soit l’origine de leur client.

Il existe, toutefois, une exception : cas où une personne physique a transgressé un Règlement (UE) sous la menace ou la contrainte. Par exemple, si le directeur du projet Mistral au moment où il a annoncé la livraison officielle du premier navire au 14 novembre 2014, avait un couteau sous la gorge, il n’aurait pas été démis de ses fonctions.

Pénalités associées aux sanctions

Que risquez-vous en transgressant les sanctions européennes ? Cela dépendra de l’État dans la juridiction duquel vous vous trouvez.

Pour être bien certain des risques que vous encourez, il vaut mieux s’adresser à un expert. Toutefois, dans la juridiction française, la partie principale de la réponse se trouve dans l’article 459 du Code des douanes :

« 1. Quiconque aura contrevenu ou tenté de contrevenir à la législation et à la réglementation des relations financières avec l’étranger, soit en ne respectant pas les obligations de déclaration ou de rapatriement, soit en n’observant pas les procédures prescrites ou les formalités exigées, soit en ne se munissant pas des autorisations requises ou en ne satisfaisant pas aux conditions dont ces autorisations sont assorties sera puni d’une peine d’emprisonnement de cinq ans, de la confiscation du corps du délit, de la confiscation des moyens de transport utilisés pour la fraude, de la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l’infraction et d’une amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction.

  1. Sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 450 euros à 225 000 euros toute personne qui aura incité par écrit, propagande ou publicité à commettre une des infractions visées au 1 ci-dessus, que cette incitation ait été ou non suivie d’effet.

…. »

Le moyen terme va montrer quel sera l’impact des pénalités découlant des sanctions américaines. L’amende de plusieurs milliards de dollars infligée à BNP-Paribas a démontré que les punitions américaines sont très conséquentes. Ce risque pèse donc sur les entreprises françaises qui auront enfreint la législation américaine eu égard les sanctions contre la Russie.

Toutefois, lorsque l’on essaye de prendre un peu de recul, on s’aperçoit que l’escalade des évènements des neuf derniers mois perd tout sens humain et le sens tout court. Dans ce contexte il peut être intéressant de se poser des questions opposées à la réalité d’aujourd’hui. En citant Andrei MAKAREVITCH, rock-musicien et personnalité reconnue depuis les temps de l’ex-Union Soviétique : « L’Ukraine s’est tournée vers l’Europe. Imaginons que la Russie est devenue plus riche et plus libre que l’Europe. Vers où Ukraine se serait-elle tournée dans cette situation ?… Essayez d’imposer les sanctions contre les États-Unis. Ceci est ridicule. Ils sont auto-suffisants, car ils représentent 30% du PIB mondial, et la Russie en a seulement 2%». Essayez d’imaginer d’autres questions de ce type. Le monde reprendra ses dimensions réelles.

Source d’image : Wikipedia

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

Irina SIDOROVA

Irina SIDOROVA, Avocat au barreau de Paris, est une spécialiste de droit international économique. Une grande partie de son temps est dédiée aux affaires...

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