Avenir économique de l’Europe

L’économie européenne est en récession profonde et durable. Quelle analyse de la situation et quelles voies de sortie sont proposées par les économistes non-européens ?

Prenons le point de vue d’Austan GOOLSBEE, Robert P. Gwinn Professor of Economics à The University of Chicago’s Booth School of Business, et l’ancien Président du Council of Economic Advisers du Président Obama. Lors de son intervention du 5 septembre au cours de la célébration du 10ème anniversaire du Centre de l’Université de Chicago à Paris, il a fait des parallèles entre l’économie américaine et l’économie européenne. En effet, après la crise de 2008 les économistes américains attendaient un rebond économique classique, qui d’après leurs estimations, devait être un rebond rapide, où la courbe de croissance économique aurait dû ressembler à la lettre « V ». Toutefois ce rebond tardait à venir, alors en 2010 ils ont revu leurs prévisions en disant que le rebond économique aurait plutôt la forme de « W »… Depuis l’année dernière les économistes disent que la reprise économique aura la forme d’un « U » très aplati et étiré horizontalement.

La même tendance est applicable  à l’économie européenne. Sauf que, d’après le Professeur GOOLSBEE, le challenge supplémentaire de l’Union Européenne est celui de garder ensemble les Etats qui ont le niveau de développement économique, le niveau de maturité / de mentalité « européenne » et les cultures très différents. D’après lui, pour pouvoir rebondir économiquement l’Europe a les solutions suivantes :

  1. Aux Etats Unis, avec leur organisation fédérale qui peut être comparée à celle de l’Union Européenne, certains Etats « riches » transfèrent jusqu’à 10% de leur PIB à l’Etat fédéral. Ces fonds sont redistribués un peu partout et servent notamment pour subventionner les Etats plus pauvres, ceux ayant des difficultés passagères, etc. Ce transfert des fonds est le prix à payer pour rester ensemble, pour garder une monnaie commune et pour avoir un marché commun. Donc, l’une des solutions permettant de sortir l’Europe de sa situation actuelle serait de convenir que les États plus prospères contribuent un peu plus au financement de l’UE. Ces fonds seraient reversés aux Etats en difficulté économique, en échange de quelques réformes appropriées.
  2. Une autre solution permettant de relancer l’économie européenne pourrait être un niveau d’inflation différent selon les Etats. C’est une solution très technique qui sous-entend l’utilisation très fine d’outils économiques et financiers, permettrait d’avoir, par exemple, une inflation de 5% en Allemagne et de 0% en Grèce.

En gardant les pieds sur terre, nous pensons que toute solution trop technique sera difficilement réalisable : nous avons vu au cours des dernières années que l’implémentation pratique des solutions techniques monétaires théoriquement parfaites, pour la résolution des problèmes économiques réels, donnait des résultats plus que mitigés (ex : assouplissement quantitatif).

Actuellement, l’Europe ressemble à une voiture où les roues avant tournent plus vite que les roues arrière. Tant bien que mal, cette voiture avance. L’idée de techniquement réguler les taux d’inflation en fonction des pays de l’Union Européenne fait penser à une voiture où toutes les roues tournent à une vitesse différente, voire certaines roues tournent dans le sens opposé. Quel serait l’itinéraire de ce véhicule ? – Nul ne sait y répondre.

Par ailleurs, l’idée de séparer l’Europe en deux parties est commune à plusieurs économistes américains. En 2011, lorsque les chaînes américaines dédiaient la moitié de leur temps aux événements en Grèce, au point où l’américain moyen aurait pu croire que c’était le plus grand pays de l’Europe, un autre professeur de l’université de Chicago, Raghuram RADJAN évoquait déjà l’idée de séparer techniquement l’Europe en Europe du Sud et en Europe du Nord. Nous avons un respect particulier pour ce personnage (aujourd’hui gouverneur de la Banque Centrale d’Inde) qui était parmi les rares à anticiper la crise financière du 2008 et qui a toujours eu une approche réaliste et pragmatique à l’économie. Lors de notre discussion en cette année 2011, il insistait sur le fait que l’Europe devrait avoir deux valeurs techniques de l’euro : l’une attachée au système économique des pays du nord de l’Europe et l’autre, « l’euro de l’Europe du Sud ». Toutefois, ce point de vue est difficilement concevable pour tout européen qui connait la complexité des liens et des contextes historiques, géopolitiques et culturels européens.

  1. Une troisième solution proposée par Austan GOOLSBEE pour relancer l’économie européenne est de massivement geler les salaires et d’augmenter la productivité partout au sein de l’Union Européenne. Cette solution a déjà été appliquée en 2009 par les pays Baltes (i.e. Lettonie) et, depuis 2011, par quelques Etats de l’Europe du Sud. Ils ont pu, depuis, revenir à la croissance économique. Cher Lecteur, pensez-vous que la France pourra implémenter cette solution ?

La seule note optimiste de toutes ces prévisions de l’avenir européen faites par le Professeur GOOLSBEE était le fait que le capital humain européen soit d’une qualité introuvable partout ailleurs dans le monde. Néanmoins, la question reste ouverte : comment, avec le capital humain d’une telle qualité, l’Europe ne parvient-elle pas à sortir de la récession économique ?

Et la France dans tout cela? D’après Austan GOOLSBEE, l’une des difficultés de la France consiste dans le fait que c’est un grand pays, car plus le pays est petit, plus il est facile à reformer. Ce fait était prouvé une fois de plus par les reformes menées après la crise de 2008 au Portugal, en Irlande ou dans les pays Baltes.

Par ailleurs, la France se trouve entre les pays du Nord et les pays du Sud, que ce soit de point de vue culturel ou de point de vue économique. Si l’Europe se cassait en « Europe du Sud » et « Europe du Nord», la France aurait aimé être comptée parmi les pays de l’Europe de Nord, or, d’après le Professeur GOOLSBEE, ce n’est pas gagné d’avance. La cause, réside évidemment, dans le manque de réformes structurelles nécessaires depuis une vingtaine d’années. La France doit penser à sa compétitivité, ou, plus précisément, à l’investissement dans sa propre population. Car les meilleurs cerveaux circulent librement en Europe et ils vont là, où la croissance est la plus forte…

Malgré beaucoup de scepticisme et un certain étonnement devant le manque de mobilisation européenne face à la « Great recession », Austan GOOLSBEE restait positif par rapport à l’avenir économique de l’Europe: nul part dans le monde ne peut-on trouver un aussi bon niveau d’éducation de la population, une aussi large utilisation des nouvelles technologies, et une telle qualité des infrastructures.

Source image : Wikimedia

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Lara STANLEY

Lara STANLEY écrit les analyses centrées essentiellement sur les sujets de l’économie, la finance et la société. Ayant travaillé dans les domaines de développement,...

Edouard DE BERLEAU

Édouard DE BERLEAU est un expert du domaine de la finance et tous les sujets connexes. Il a travaillé dans des grandes institutions et...

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